"Ecopop n’apportera aucune solution, bien au contraire"

24 Heures, Tribune de Genève; Patrick Chuard
24 Heures: "La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga s'engage avec force contre l’initiative Ecopop."

Vous avez déclaré qu’Ecopop est une initiative xénophobe. N’est-ce pas contre-productif de diaboliser les  initiants ?
Cette initiative prétend vouloir protéger l’environnement en excluant les étrangers. C’est un fait et non un jugement de valeur. Notez par ailleurs que l’initiative ne peut pas atteindre son but environnemental : si un Français conduit une voiture en France ou sur le territoire suisse, l’effet est exactement pareil pour le climat.

Quelle est, selon vous, la limite de la population que peut atteindre la Suisse, 9 millions d’habitants ? 12 millions ? Davantage ?
Je ne peux pas vous donner de chiffres car les pronostics dans ce domaine ne sont pas sérieux. Certains ont fait des prévisions dans les années 1960 disant qu’il y aurait 10 millions de personnes en Suisse en l’an 2000. Or vous pouvez constater qu’en 2014 nous sommes un peu plus de 8 millions. Il est malsain de vouloir faire peur aux gens en agitant le spectre de la surpopulation. Ecopop ne donne pas non plus de réponse à votre question, elle dit seulement que si on avait moins d’étrangers en Suisse, le pays serait dans un meilleur état. Ce dont nous sommes sûrs, c’est qu’Ecopop risque d’étouffer l’économie suisse, qui a besoin de la main-d’œuvre étrangère. Et si l’économie souffre, toute la population en subira les conséquences. On pourrait s’attendre à une hausse du chômage, à une baisse des salaires ou à des rentes qui ne pourraient plus être payées.

Est-ce que vous ne sous-estimez pas le stress de la densité ressenti par la population ?
Bien sûr qu’il y a parfois du monde dans les trains et des bouchons sur les routes. Mais pensez-vous que dire oui à Ecopop permettra de fluidifier la circulation et de libérer des places assises dans le train ? Là aussi, il faut s’en tenir aux faits. De plus en plus de gens choisissent d’habiter en ville : des familles avec des enfants, des jeunes ou des aînés. Ils apprécient d’avoir leur travail, leurs amis, leur famille à proximité. Pour eux, le désir de vivre ensemble passe avant le stress de la densité. A tel point que certaines régions rurales connaissent un problème de dépeuplement. Si le stress de la densité était en cause, les citoyens des villes auraient été les premiers à voter pour l’initiative "Contre l’immigration de masse", le 9 février dernier. Or c’est le contraire qui s’est passé.

Les oubliés de la prospérité, cette partie de la Suisse qui a le sentiment de ne pas profiter de l’ouverture des frontières, ne devraient-ils pas être mieux entendus ?
Bien sûr, j’entends leurs préoccupations. Beaucoup de Suisses ont l’impression de ne pas profiter de la globalisation, de l’ouverture des marchés, de la libre circulation. Mais Ecopop ne leur apportera aucune solution, bien au contraire. Si l’économie va moins bien parce qu’on ferme les frontières, si le chômage augmente, si notre pays connaît des problèmes économiques aigus, c’est précisément cette catégorie de la population qui subira en premier les effets négatifs.

En tant que ministre socialiste, comprenez-vous ceux qui demandent un autre modèle que la croissance à tout prix ?
Je vous pose la question : est-ce qu’Ecopop propose un modèle de croissance alternative ? Elle veut seulement fixer un plafond d’immigration très rigide, qui ne permettra plus aucun mouvement d’augmentation de l’immigration quand l’économie va bien et de baisse quand elle va moins bien. Il ne s’agit pas de tout sacrifier à la croissance, mais Ecopop ne nous apporte aucune solution.

Ne devrons-nous pas un jour limiter la croissance ?
Je crois plutôt qu’il faut travailler sur la qualité de la croissance et faire en sorte qu’elle ne se fasse pas au détriment des humains ou de la nature. Il faut que cette croissance soit durable et qu’elle apporte aussi de la qualité de vie. Je vous donne un exemple : avec la croissance que la Suisse a connue ces dernières années, nous avons malgré tout pu améliorer la qualité de l’air.

Vous pronostiquez la fin des relations bilatérales avec Bruxelles en cas de succès d’Ecopop. N’est-ce pas exagéré ?
Non, la votation du 9 février a déjà compliqué nos relations avec Bruxelles. Il y a des impacts sur les échanges d’étudiants et sur la recherche. Le Conseil fédéral met tout en œuvre pour trouver une solution, mais ce sera difficile. Ecopop va beaucoup plus loin, avec son plafond d’immigration fixe et rigide. L’initiative dit clairement que, si l’on n’arrive pas à négocier avec Bruxelles dans les quatre ans, il faudra dénoncer tous les accords contraires. La Suisse serait condamnée à l’isolement. La voie bilatérale avec l’UE est très importante, en particulier pour les jeunes : pour leur permettre d’aller travailler dans l’UE, d’y faire des stages, de faire des échanges. Tout cela serait terminé.

Les initiants rétorquent qu’on pourra toujours signer d’autres accords. N’est-ce pas aussi une question de volonté ?
C’est un peu facile de faire ce genre de propositions en oubliant ce que cela représente dans la réalité. Un exemple : rien que pour entrer en négociation avec l’Union européenne, il faut non seulement un mandat de négociation de la Suisse, mais aussi de l’UE. Cela signifie que l’unanimité des 28 pays de l’Union est nécessaire, rien que pour entrer en matière sur le mandat de négociation. Encore une fois, Ecopop n’offre aucune solution. Faire ce pas nous placerait dans une situation très difficile et nous isolerait sur la scène internationale.

Dernière modification 03.11.2014

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